Interview du professeur Grimaldi - décembre 2011

Nous avons rencontré le Professeur André GRIMALDI (Professeur de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière à Paris) , co-auteur du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire.

Polyarthrite infos : "Pr Grimaldi, malgré le reste à charge toujours plus élevé pour les patients, les dépenses de santé continuent à augmenter et à être supérieures aux cotisations, comment mettre fin au déficit de l’assurance maladie dans ces conditions ?"
Pr Grimaldi : "La question de l’équilibre entre les dépenses et les recettes est bien sûr importante mais elle ne peut se résoudre que dans une réflexion qui pose d’abord les principes de ce que nous voulons qui relève de la solidarité nationale, c'est-à-dire de la Sécurité Sociale. Et dans cette réflexion, on ne peut faire l’économie d’interroger l’organisation et le fonctionnement de notre système qui sépare, par exemple, ceux qui évaluent le bénéfice d’un médicament et ceux qui en fixent le prix. Pour retrouver l’équilibre budgétaire, il faut donc tout remettre à plat ; c’est pourquoi un débat est indispensable. Deux exemples : alors que toutes les réformes visent la réduction des dépenses, pourquoi y a-t-il une différence de prix, parfois énorme, pour un même médicament de marque ou de forme différente alors que l’efficacité est identique ? Et pourquoi les génériques, en France, coûtent-ils deux fois plus cher qu’en Grande-Bretagne et trois fois plus qu’aux Pays-Bas ? Rien qu’en révisant la liste des médicaments remboursés et leur prix, ce sont des milliards d’euros qui peuvent être économisés, très vite, sans réduire la qualité et l’accès aux soins.
Côté recettes, l’ensemble des revenus, du travail mais pas seulement, doit participer au financement de la Santé. La 1ère fraude concerne le travail « au noir », entraînant un manque à gagner pour la Sécu estimé à 15 milliards. Le second manque, légal celui-là, concerne les « niches sociales », c'est-à-dire les exonérations de cotisations sociales, soit 37 milliards dont la Cour des comptes estime qu’une grande partie n’a pas de justification économique. Enfin et surtout, il faut aussi réfléchir aux recettes, de plus en plus importantes, qui sont versées au secteur privé des mutuelles et des assurances."


Polyarthrite infos : "Le coût des complémentaires santé est effectivement de plus en plus important, mais peut-on faire autrement ?"
Pr Grimaldi : "Absolument ! C’est surtout là que résident les choix que nous devons faire. Sans consultation des citoyens et sans débat, nous assistons depuis 10 ans à un transfert des dépenses de l’assurance maladie vers les mutuelles et les assureurs. Cette orientation est contestée car lourde de conséquences :
- Elle accroît les inégalités : car les primes ne dépendent pas des revenus et les plus fragilisés, par la maladie ou l’âge, paient plus cher. Une partie des citoyens renonce à avoir une complémentaire santé devenue trop onéreuse et renonce ensuite aux soins. C’est donc une remise en cause, de fait, des principes d’égalité et de solidarité.
- Cela coûte plus cher aux citoyens : car les primes augmentent de 5 % par an et en 8 ans, la hausse atteint 44 %, alors que les frais remboursés n’ont augmenté que de 27 %. Par ailleurs, les frais de gestion des mutuelles et des assureurs sont de 15 % à 25 %, alors que ceux de l’assurance maladie n’atteignent pas 5 %. Nous défendons donc une orientation inverse : verser plus à l’assurance maladie pour rétablir un taux de remboursement minimum à 80 % et verser moins aux mutuelles et aux assureurs privés !
- Enfin, cette répartition des dépenses de santé entre organismes publics ou privés définit un système de santé totalement différent de celui fondé en 1945 avec la création de la Sécurité Sociale. Cette orientation n’est pas seulement une tentative de régulation raisonnable des dépenses, c’est un système qui conduit à être soigné en fonction de ses moyens. On avance à petits pas vers le système américain. Les Français sont-ils d’accord ?"


Polyarthrite infos : "Pensez-vous qu’il y a urgence ?"
Pr Grimaldi : "Tout à fait, petite mesure après petite mesure, notre système de soins a basculé. Prenons par exemple les franchises : elles avaient pour but de responsabiliser les assurés et de financer des plans, Alzheimer, entre autres. Nous constatons que la mesure n’a pas eu le résultat escompté, sans qu’aucune évaluation ne soit réalisée. Ce serait pourtant la moindre des choses que l’on fasse un bilan et que l’on débatte d’une autre proposition. Dans le même temps, 15 % des Français ont dû renoncer à des soins pour des raisons financières, creusant toujours plus les inégalités d’accès aux soins. En réalité, ce taux est de 30 % pour ceux qui n’ont pas de mutuelle. C’est la même logique du côté de l’Hôpital, les objectifs budgétaires imposés sont irréalistes et parfois en contradiction avec sa mission de service public. Le déficit est alors inévitable, ce qui « justifie » ensuite des mesures de réduction de personnel incompatibles avec les besoins de la population, la sécurité des patients et la qualité des soins. On pourrait aussi évoquer les déserts médicaux, les dépassements d’honoraires, la prévention, etc."


Polyarthrite infos : "A vous écouter, on perçoit la complexité des enjeux pour notre système de santé.Comment les Français peuvent-ils s’y retrouver ?"
Pr Grimaldi : "C’est vrai que c’est difficile, mais nous ne sommes pas idiots, nous pouvons comprendre si on nous explique. La Santé, en tant que bien supérieur, ne doit pas être l’affaire de « spécialistes » qui décident à notre place, nous sommes tous concernés. C’est pourquoi le Manifeste est signé par 123 personnalités, professionnels et représentants d’associations de patients, mais aussi économistes, juristes, chercheurs, créateurs, artistes. Notre système de soins traduit des choix de société sur lesquels, dans une démocratie, les citoyens doivent se prononcer. Il faut un débat pour que nous fassions des choix responsables. Les expériences des systèmes de santé des autres pays, par exemple, sont intéressantes. Il y a de grandes différences entre le système américain et celui du Canada ; en Europe, il y a aussi une grande différence entre les modèles de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et d’Allemagne. Il faut pouvoir réfléchir ensemble aux avantages et aux inconvénients des diverses options et en premier lieu si on veut, en France, préserver une Santé égalitaire et solidaire. Egalitaire, cela veut dire le même accès et la même qualité de soins pour tous. Et solidaire, cela implique un système public où chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins médicalement justifiés. C’est le principe de la Sécurité Sociale. Pour autant, la solidarité ne doit pas tout rembourser. Est-il normal que la Sécu continue à rembourser les cures thermales pour un coût de 300 millions d’euros par an ? Les difficultés que nous rencontrons peuvent être résolues tout en préservant ce principe fondamental."


Polyarthrite infos : "Pour conclure, Pr Grimaldi, quelles sont les principales mesures proposées dans le Manifeste et quelles sont les prochaines actions envisagées ?"
Pr Grimaldi : "Le Manifeste comporte 190 pages pour poser le problème que nous avons à résoudre, fournir des éléments de réflexion sur les mesures qui, petit à petit, ont été prises sans concertation et proposer une autre solution que celle que l’on nous impose et que l’on nous présente comme la seule raisonnable possible. Mais si on doit résumer en deux revendications phares, nous voulons :
- que la Sécurité Sociale soit l’assureur principal de la Santé, ce qui implique que l’on prenne l’orientation inverse de celle de ces dix dernières années, qui a transféré de plus en plus de dépenses vers le privé.
- le rétablissement du taux de remboursement à 80 %, alors qu’il n’est plus que de 55 % pour les soins courants. Le maintien du 100 % pour les affections de longue durée (ALD) et le maintien de la couverture maladie universelle (CMU).
Nous avons par ailleurs, rédigé un « Pacte pour une santé égalitaire et solidaire », reprenant nos propositions. Nous allons l’adresser à tous les candidats à l’élection présidentielle et prendre rendez-vous. Nous comptons que le débat public indispensable que nous revendiquons puisse avoir lieu, car s’il n’y a pas de débat, il n’y a pas de choix.

Une autre politique de Santé, fondée sur l’égalité et la solidarité, ET à coût constant, est possible !"

Propos recueillis par Patricia Preiss, Secrétaire Générale de l’AFPric

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